Article de Muriel Pénicaud paru dans la Newsletter du Siècle des Femmes du 30 janvier 2023.
L’année 2022 a été largement contrastée en ce qui concerne la situation des femmes dans le monde :
- le nombre de femmes leaders dans le business et en politique a augmenté, même si c’est un fait encore très minoritaire – même au CAC40, où les progrès sont lents (3 femmes sur 40) ;
- aux Etats-Unis, la colère des femmes contre le recul sur le droit à l’avortement, prononcé par la Cour Suprême et de nombreux États, a clairement contribué à un meilleur résultat que prévu pour le Parti Démocrate américain aux élections de mi-mandat ;
- sauf en Asie, les filles restent massivement absentes des secteurs de la technologie et des sciences, malgré l’action de nombreux réseaux et associations, et des role models formidables (dont parmi les dernières, notre nouvelle as- tronaute française) ; l’action doit se renforcer encore vis à vis de l’opinion publique, des familles et des enseignants ;
- en France, notre « trilogie législative » montre ses effets dans le champ professionnel : la loi Copé-Zimmermann, au bout de 10 ans, est un succès (46 % de femmes dans les Conseils d’administration des sociétés cotées), les résul-tats de l’Index Egalité pro que j’ai instauré par la loi « Avenir Pro » de 2018 progressent chaque année (même si nous voudrions toutes que cela aille encore plus vite), et la loi Rixain de 2021 sur la proportion de femmes dans les comités exécutifs commence à être mise en œuvre sur le terrain ;
- en revanche, la folie des violences intra-familiales contre les femmes (et les enfants) ne faiblit pas, et de nombreux scandales d’harcèlement sexuel et de viols secouent les mondes du sport, de la culture, de l’église et de la politique, bien que la justice peine encore à les prendre pleinement en compte.
Mais le fait le plus marquant de l’année 2022 est certainement l’extraordinaire courage des femmes iraniennes et afghanes. L’Iran et l’Afghanistan sont les deux pays au monde où la situation des femmes est la plus catastrophique, leurs droits élémentaires sont bafoués et leur liberté réduite à zéro.
Depuis la mort de la jeune kurde Mahsa Amini le 16 septembre, pour un voile mal porté, un vaste mouvement de contestation populaire se déploie en Iran. Le slogan, le cri du cœur de toutes ces manifestations est « Jin, Jiyan, Azadi (en kurde) ou « Zan, Zendegi, Azadi » (en persan), ce qui signifie « Femme, Vie, Liberté ». Révolte des femmes au départ, le mouvement a très vite été rejoint par les hommes, en particulier les jeunes et les ouvriers, et s’est généralisé à l’ensemble des territoires.
La question des femmes est centrale dans la « République islamique » (si on peut l’appeler République une théocratie autoritaire et patriarcale), car la domination des hommes sur les femmes est depuis 44 ans au cœur de la vie publique. Elles doivent porter le voile, obtenir l’autorisation de leur mari pour voyager à l’étranger, de nombreux métiers leur sont interdits (alors qu’elles représentent la moitié des étudiants à l’université), leur mari peut leur interdire d’avoir une activité professionnelle, etc. Ce sont des citoyennes de deuxième classe, sous tutelle et à la disposition des hommes. Le voile est le symbole de cette domination, la mèche de cheveux libre est l’étendard de la révolution.
Cela peut paraître suicidaire que la République islamique dirigée par le guide suprême Ali Khamenei massacre la jeunesse de son pays, mais c’est d’une tragique cohérence, toute la structure sociale, familiale et politique de l’Iran actuel reposant sur cette domination sur les femmes.
C’est une révolution, mais une révolution sans partis, sans organisations centralisées, une révolution populaire née d’une révolution féministe. Et c’est la première de ce type dans le monde.
Aujourd’hui, malgré un courage héroïque qui ne faiblit pas, l’issue reste incertaine. Les organisations féministes des autres pays ne sont pas toutes solidaires des femmes iraniennes, par calcul politique local flattant certaines communautés islamiques. J’ai fait partie des signataires de la tribune collective lancée par la romancière franco-iranienne Sorour Kasmaï, parue le le 23 novembre dans le Monde : « Nous, gens de lettres, artistes, universitaires, qui n’avons cessé de revendiquer la liberté pour les femmes, sommes tous et toutes iraniennes ».
Étant en contact étroit avec les organisations iraniennes en France qui soutiennent le mouvement « Femme, Vie, Liberté » en Iran, je sais que le soutien, la voix des féministes et des démocrates du monde entier sont très importantes pour nos sœurs iraniennes, kurdes et afghanes, et les encouragent jour après jour.
Moins médiatisée mais tout aussi atroce, la situation des femmes et des filles en Afghanistan est catastrophique depuis la reprise du pouvoir par les Talibans en 2021. Les femmes afghanes deviennent invisibles. Les talibans prônent une idéologie islamiste radicale, fondée sur l’oppression des femmes.
Toutes leurs libertés sont restreintes ou supprimées, en particulier le droit au travail et à l’éducation, et la liberté d’expression, de mouvement et de réunion. Les femmes
doivent porter le port du voile intégral (burqa) dans l’espace public, ne peuvent voyager qu’avec un membre masculin de leur famille. Les filles n’ont plus le droit d’aller à
l’école. Depuis peu, les femmes n’ont plus le droit non plus d’étudier à l’université, ni de travailler dans des ONG.
C’est le seul pays où monde où les filles et les femmes ont l’interdiction d’étudier. Des scènes déchirantes montrent le désespoir de fillettes totalement privées d’avenir. Les femmes ont à cette répression brutale par de nombreuses manifestations, certaines avec le sou-tien des hommes, notamment chez les étudiants. Beaucoup sont soumises à des arrestations arbitraires, ont subi des actes de torture en prison.
Femmes iraniennes et afghanes sont privées de droits et de libertés, opprimées et peu à peu « effacées » de l’espace public. L’ONU a enfin condamné les décisions de l’Afghanistan et retiré l’Iran de la Commission de la condition de la Femme, en raison de ces atteintes sans précédent aux droits de l’homme de la moitié de la population de ces deux pays. Les femmes résistent d’une façon sans précédent là aussi, soutenues par de nombreux hommes, avec un courage et une détermination extraordinaires. Les associations et organisations de femmes du monde entier ont leur rôle à jouer. Au Siècle des Femmes, nous avons toutes un pouvoir d’action, de parole et d’influence. Nos sœurs iraniennes et afghanes ont besoin de notre soutien.
Alors oui, soyons leurs voix !
Muriel Pénicaud